jeudi 29 septembre 2011

Un combat dans le ciel



Nous voici avec une fête quelque peu étrange... vous avez déjà croisé un archange vous ? Mais non, je ne parle pas de sr Marie-Raphaël, qui ne porte que le nom d'un des trois "super-vivants"... mais d'un vrai archange, en plume et en os ? Non ? Alors laissons ces représentations pour les amateurs de fantastique, et demandons-nous plutôt ce que signifient ces textes que nous venons de recevoir...  et tirons-en seulement un seul et unique fil pour aujourd’hui... il faut laisser de la matière aux méditations des années prochaines !
 
Il y eut un combat dans le ciel... ah ! Pour qui pensait que les anges avaient un comportement angélique, c’est bien parti ! Ou alors, changeons le contenu de l’angélisme !!! Un combat, la Bonne Nouvelle n’est pas de tout repos aujourd’hui. Un combat, entre deux factions, Michel et ses anges, le Dragon, avec, lui aussi, ses anges. Comme quoi vouloir faire l’ange, ne garantit pas encore qu’on soit du bon coté !
La scène est campée. Mais tant pis pour les assoiffés de spectacle : 3 petits versets suffisent à l’auteur de l’Apocalypse, pour nous dire qu’il y a eu un combat, pour nous poser les adversaires, le lieu et donner le résultat. Ce n’est donc pas à un spectacle qu’il nous invite. Que veut-il nous dire ?
Voyons les deux partis : Michel (dont le nom énigmatique est une question « qui est comme Dieu ?») et le Dragon. Pour lui l’auteur ne manque pas d’appellations variées : Serpent (bonjour le rampant de la Genèse), Démon (mais le terme grec est plus clair : Diable ; autrement dit, le diviseur), Satan (l’adversaire, le séducteur), l’accusateur. Bref, l’ennemi dans toute sa splendeur.
Le combat a lieu dans le ciel. C'est-à-dire ? dans les nuages, et on va voir voler les plumes ? pas vraiment ! Le ciel représente, il me semble, l’aspect invisible et transcendant de l’histoire. Il dit la vérité profonde, le lieu de Dieu, le lieu des esprits, donc un lieu qui n’est pas un lieu, mais une réalité profonde. On aurait pu dire la profondeur... Mais notre imaginaire en a décidé autrement, plaçant ce qui relève de l’esprit en haut. La terre figure l’aspect visible et humain. Au ciel se déroule le combat le plus important, le combat spirituel.
Et le texte de l’Apocalypse, qui est un livre d’espérance pour chrétiens vivant la persécution, nous dit : c’est vrai il y a un combat, mais Dieu en est victorieux, il a donné mission à ses anges de veiller sur chacun de vos pas. Et celui qui se prenait la tête à accuser constamment ses frères, le Satan, est réduit à rien, il est anéanti. Cette victoire est celle du Christ, elle est aussi nôtre tandis que nous tentons de dépasser l’amour de nous-même pour nous donner jusqu’au bout. Tandis que nous choisissons d’aimer nos frères et sœurs plutôt que de les accuser sans cesse.
Cette victoire annonce aussi une réconciliation entre ces deux lieux : la terre et le ciel.
L’homme a toujours rêvé de trouver l’échelle qui le mènerait dans les hauteurs, le songe de Jacob en témoigne. Une échelle plantée en terre qui monte aux cieux, une échelle que parcourent les anges.
L’Evangile y fait allusion. Jésus annonce : Amen, amen, je vous le dis : vous verrez les cieux ouverts, avec les anges de Dieu qui montent et descendent au-dessus du Fils de l'homme.  Et vous voyez l’échelle ? Écoutez ce que cela donne littéralement : vous verrez les cieux ouverts, avec les anges de Dieu qui montent et descendent sur le Fils de l'homme.  Elle n’est autre que le Fils de l’homme, c’est lui l’échelle qui unit terre et ciel. C’est par lui que les anges vont et viennent.
Célébrer cette victoire du monde céleste, c’est aussi célébrer cette communion à laquelle nous sommes conviés. Il n’y a pas deux mondes : celui du ciel et celui de la terre. Il y a un seul univers, celui de Dieu : déjà nous y sommes de plain-pied et pourtant nous y sommes encore invités…
Alors chantons le Seigneur,… en présence des anges !
Sr Thérèse-Marie 
 

dimanche 25 septembre 2011

Le Dieu de la 2ème chance

Médiation pour le 26ème dimanche du temps ordinaire, année A
 
Pendant trois dimanches successifs, la liturgie rapproche des évangiles qui parlent de « la vigne ». Dimanche dernier, c’était la parabole des ouvriers qui sont embauchés par le maître de la vigne, de la première heure jusqu’à la dernière, et qui reçoivent tous le même salaire. Dimanche prochain, nous entendrons la parabole des vignerons homicides. Aujourd’hui, il est question d’un père qui a deux fils et qui leur demande à chacun d’aller « travailler à sa vigne ». Déjà dans l’AT, la vigne est un symbole fort : elle est l’image du peuple d’Israël. Dans ses paraboles, Jésus prolonge l’image en faisant de la vigne le symbole du Royaume de Dieu dans lequel nous sommes appelés à travailler. Il importe à Dieu que nous collaborions à son œuvre, que nous portions du fruit. Le travail du Royaume ne se fera pas sans nous. Mais les fruits ne nous appartiennent pas : ils reviennent à Dieu.
Dieu est donc comme un père qui demande à ses fils : « va travailler aujourd’hui à ma vigne ». On peut réagir de diverses manières : y aller ou ne pas y aller. Les deux fils dont parle Jésus ont une chose en commun : ils ne font pas ce qu’ils disent. L’un dit non, mais il va. L’autre dit oui et ne va pas. Cela nous mène à une réflexion sur la cohérence entre le dire et le faire. « Que ton oui soit oui, que ton non soit non », dira Jésus ailleurs. Mais ici, entre les deux, il est tout de même clair que Jésus préfère celui qui finit par agir. Or, de ce fils-là, il est dit qu’il se repent, c’est-à-dire qu’il change d’avis, qu’il change tout court. Jésus apprécie l’attitude de celui qui est capable de se repentir, de se remettre en question. Il ne s’arrête pas à la première réaction : il sait que nous sommes parfois « secondaires », que nous avons besoin d’une deuxième chance.
C’est déjà ce que faisait remarquer le prophète Ezéchiel : Dieu regarde le fruit qu’on porte, non la belle façade que l’on se donne. Dieu regarde ce que l’on a réellement fait, non ce que l’on dit, ce que l’on prétend. Et ce n’est jamais acquis pour de bon. Le juste peut se détourner de sa justice, se pervertir. Toute la justice qu’il aura pratiquée durant sa vie ne lui sera d’aucun secours s’il meurt dans un état de perversion. C’est dur à entendre, une chose pareille ! Cela nous fait dire que « la conduite du Seigneur est étrange » : nous aimerions qu’il comptabilise davantage toutes nos bonnes actions et les mette dans la balance pour contrebalancer les mauvaises... Mais si la conduite du Seigneur est « étrange » et même « injuste » aux yeux de ceux qui se disent « justes », elle l’est encore davantage pour les autres, pour ceux qui ont « fait le mal » toute leur vie et qui, tout à la fin, se détournent du mal pour faire le bien. Celui-là, dit Dieu, ne mourra pas, il sauvera sa vie.
On pourrait dire que Dieu, aujourd’hui, est « le Dieu de la 2ème chance » (ou même le Dieu de la dernière chance, ce qui était déjà la cas la semaine dernière). Deux réactions possibles : soit cela nous heurte, parce que nous trouvons que la « justice »  de Dieu n’est pas bonne en comptabilité. Alors, nous disons que « la conduite du Seigneur est étrange ». Soit cela nous émerveille, car nous mesurons à quel point Dieu nous aime et guette le moment pour nous montrer sa miséricorde. Ce moment, c’est quand le repentir, le regret de nos fautes nous ouvre à sa grâce. Il n’attend que cela pour déverser sur nous sa miséricorde.
Et cette miséricorde, cette « étrange conduite » de Dieu, après en avoir bénéficié pour nous-mêmes, nous sommes invités à la pratiquer les uns envers les autres. Telle est l’exhortation de Paul dans sa lettre aux Philippiens : que l’on s’encourage mutuellement dans l’amour, que l’on ait de la tendresse et de la pitié. Et la clé qui rend possible toute vraie relation, c’est l’humilité, cette aptitude à estimer les autres supérieurs à soi-même. Or, le modèle de l’humilité que Paul nous montre, c’est Jésus lui-même.
L’humilité de Jésus, d’après ce texte célèbre de Philippiens 2, c’est qu’il était « de la condition de Dieu » et que pourtant il n’a pas estimé devoir être traité à l’égal de Dieu. Au contraire, étant de condition divine, il s’est abaissé au plus bas de notre condition humaine, il est devenu obéissant jusqu’à la mort de la croix. Lui, le Christ, dont Paul dit ailleurs : « il n’a pas été oui et non, il n’a jamais été que oui », voilà jusqu’où ça l’a mené.
Revenons donc à l’évangile, avec cet exemple magnifique du véritable Fils qui a dit « oui » à son Père et qui a vraiment fait ce qu’il a dit, travaillant à sa vigne et lui faisant porter du fruit.
Bien sûr, il vaut mieux dire non et faire oui que dire oui et faire non. Mais il vaudrait mieux encore faire et dire, être totalement transparent, cohérent dans notre être unifié. Seul Jésus est totalement « oui », à la fois en parole et en acte, totalement transparent à la volonté du Père. On pourrait même dire que Jésus est le « oui » du Père à notre égard : il est en personne, il « incarne », l’amour du Père pour nous, pour sa vigne.
Cherchons donc à lui ressembler, mais en toute humilité, sachant que jusqu’au bout, il nous faut être vigilants pour ne pas tomber dans le défaut du deuxième fils. Cherchons un juste équilibre entre le publicain et le grand prêtre, entre celui qui se reconnaît pécheur et se convertit et celui qui est fier de dire « oui » et de tenir parole. Peut-être ce « juste milieu » est-il précisément la voie de l’humilité ?
Apprendre l’humilité, c’est le programme de toute une vie. Confions-nous à Dieu, puisque le psaume nous l’a dit : « sa justice dirige les humbles, il enseigne aux humbles son chemin. »
Sr Marie-Raphaël 

mercredi 21 septembre 2011

Humilité, patience et douceur

Méditation pour la fête de st Matthieu
Eph 4, 1-7.11-13 ; Ps 18, 2-5 ; Mt 9, 9-13
 
Hier une jeune femme a sonné à la porte, elle vendait des paillassons, sr Agnès avec son bon cœur, s’est fait rouler comme pas possible, elle en a acheté 10 au triple du prix ! C’est fou une telle arnaque.
Ce matin, une femme est venue frapper à la porte pour rencontrer la supérieure, alors on m’a appelée.  Je ne la connaissais pas, elle se présente rapidement et elle me dit qu’elle est appelée par le Seigneur à la vie monastique !
Je la présente à sr Agnès, elle pâlit un sérieux coup... figurez-vous que c’est la dame aux paillassons... alors je fais quoi ? Je lui demande de rembourser d’abord le prix de son vol de la veille ? Je refuse ferme, pas possible que le Seigneur appelle un tel personnage ! Je l’accueille à bras ouverts ?
 
Vous riez... mais avouez que la vocation de Matthieu, cela devait ressembler à quelque chose comme cela... c’était un collecteur d’impôts ! Rien que cela ! Était-ce là bonne idée de recruter un tel personnage ? Cela ne va-t-il pas nuire à la qualité de l’annonce du Royaume ?
 
Jésus ne met pas d’étiquette sur les personnes, il les voit et les regarde avec les yeux du cœur, il devine le désir profond, et il invite. « Suis-moi ». Et l’homme se leva et le suivit.  
Quel scandale ! Les pharisiens, ceux qui se croient justes (et qui le sont sans doute pour une part), critiquent. Admirez la manière : ils font comme nous faisons si souvent au quotidien : au lieu de le dire en face au concerné, ils ne s’adressent pas directement à Jésus, mais vont exposer leurs critiques auprès des disciples ; cela ressemble au serpent du jardin de la Genèse, qui vient susurrer le doute, la suspicion dans le coeur: pourquoi votre maître mange-t-il avec des pécheurs ? Admirez la question : pourquoi votre maître... sous entendu : nous, nous ne prendrions jamais pour maître un tel homme. Nous, nous voyons bien que ce prétendu rabbi n’en est pas un. S’il nous avait invités à sa table, alors on aurait loué son clair discernement. Ici, ces mauvaises fréquentations révèlent bien qui il est !  
Ils ont parlé à voix un peu trop haute ; Jésus a entendu. Il répond avec une parole du prophète Osée : c’est la miséricorde que je veux et non les sacrifices ! et il poursuit : je suis venu appeler non les justes mais les pécheurs.
Pour annoncer son royaume, pour annoncer le salut, Jésus choisit des pécheurs ! oserais-je dire…des gens comme vous et moi ? Rien de tel pour témoigner de la grâce de Dieu. Jésus choisit des cœurs ouverts, pauvres, qui pourront accueillir le royaume, comme un don de Dieu.
Les soi-disant justes tentent de l’acheter, de le mériter à coup de sacrifices, de rites, d’observances qui hélas leur durcissent le cœur, les installent dans le jugement et l’exclusion, l’anti-royaume.
Le Dieu que vient révéler Jésus est tout autre. Il aime le petit, le pauvre, nul n’est perdu à ses yeux. Il voit en chacun une chance pour le royaume.
 
Saint Paul l’a bien compris, qui exhorte ses frères à l’unité non dans la perfection, mais dans l’Esprit par le lien de la paix. Il nous invite à suivre fidèlement l’appel que nous avons reçu non par l’héroïsme de la vertu, mais dans l’humilité, la patience et la douceur. Il nous appelle à être tout accueil, en nous supportant les uns les autres avec amour. Non pas en nous jugeant les uns les autres, ou en choisissant ceux que nous voulons.
Chacun, chacune a reçu des dons à mettre au service du Royaume, mais nul d’entre nous n’a reçu tous les dons... il s’agit de former ensemble le corps du Christ, c’est dans cette édification par l’accueil mutuel, que nous atteindrons la vraie connaissance du Christ !
 
Rendons grâce au Seigneur, de nous appeler à édifier ensemble son corps dans l’accueil et le respect mutuel. Demandons lui de renouveler le regard que nous posons les uns sur les autres. Que nous découvrions sa présence en chacun. 
Sr Thérèse-Marie 

mardi 20 septembre 2011

Heureux les habitants de ta maison, Seigneur



Dédicace de la Cathédrale de Namur : 20 septembre 2011
  
« Mon âme s’épuise à désirer les parvis du Seigneur... »
 
En cette fête de la Dédicace de la Cathédrale de notre diocèse, le psalmiste évoque les pèlerinages vers Jérusalem, qui jalonnaient les fêtes juives.
Jérusalem, ville choisie par le Seigneur, « Cité Sainte », « la Fiancée », « épouse de l’Agneau ».
L’extrait de l’Apocalypse nous en révèle le fondement : descendant « du ciel d’auprès de Dieu », elle est fondée sur « les noms des douze Apôtres de l’Agneau ».
Et Jean nous en vante la beauté : resplendissante de la gloire de Dieu, elle a « l’éclat d’une pierre très précieuse ».
 
C’est précisément dans un contexte de fête, celle de la Pâque juive, tandis que les pèlerins s’y rendent en grand nombre, que Jésus « monte à Jérusalem ».
Certes, Jérusalem était lieu de prière et de dévotion, de louange et de supplication…
Mais un tel lieu de pèlerinage postulait aussi une dimension commerciale : les animaux et les monnayeurs étaient indispensables au rite des sacrifices.
 
Jésus, tout imprégné du verset du psaume « L’amour de ta maison fera mon tourment », ne peut souffrir un tel commerce et vide le Temple de ses oripeaux.
Face à cette réaction de Jésus, les Juifs s’interrogent :
« Quel signe peux-tu nous donner pour justifier ce que tu fais là ? »
En guise de réponse, Jésus évoque le signe éminent de sa future mort et Résurrection : « Détruisez ce Temple et en trois jours je le relèverai ».
Dans l’évangile de Jean, l’appellation de « signe » est récurrente.
Ce terme offre un espace de liberté.
En effet, devant ce geste de Jésus, subversif à plus d’un titre, les Juifs et les disciples présents sont placés devant une alternative : croire ou ne pas croire.
Croire signifierait de dépasser la matérialité du geste, pour s’intéresser à celui qui l’accomplit.
Mais non, ces Juifs s’arrêtent au geste lui-même et relèvent l’impossibilité de rebâtir en trois jours ce qui a nécessité quarante-six ans…
Par leur réplique, ils témoignent de leur refus de s’engager dans une relation avec Jésus.
Par contre, les disciples balisent une autre voie, celle d’après Pâques, où le signe n’est plus obstacle, mais tremplin pour mettre sa foi en Jésus et en ses paroles :
« ses disciples crurent aux prophéties de l’Ecriture et à la parole que Jésus avait dite ».
 
Aujourd’hui, nous sommes confrontés à la même alternative.
Devant le signe qu’est une cathédrale, n’y verrons-nous qu’une construction humaine ou y découvrirons-nous la présence de Celui qui la fonde ?
Et devant le signe par excellence qu’est celui de la Croix, pourrons-nous y découvrir la Bonne Nouvelle de la vie plus forte que toute mort ?
 
En ce jour de la Dédicace de la Cathédrale Saint Aubain, la célébration d’une construction de pierres nous invite à la célébration des « pierres vivantes » et de Celui qui, Vivant pour toujours, les tient ensemble, fondés en Lui.
 
« Heureux les habitants de ta maison :
ils pourront te chanter encore !... »
 
Amen
 
 
Sr Marie-Jean (20 sept 11)
 

dimanche 18 septembre 2011

De l'art de semer le trouble !!!

Méditation pour le 25 dimanche du Temps Ordinaire (année A)
 Is 55, 6-9 ; Ps 144 ; Ph 1,20c-24.27a,  Mt 20,1-16a
 
De l’art de semer le trouble et le désordre !
N’est-ce pas le titre que nous donnerions spontanément à cette page d’évangile ?
La révolte pourrait bien gronder si un chef d’entreprise agissait ainsi ! Que veut dire ce texte provocant ? Nous avions été prévenus dès la première lecture : les pensées de Dieu ne sont pas les nôtres, ses chemins ne sont pas les nôtres. Reste à comprendre, et à choisir notre camp !
Au chapitre précédent de l’évangile, après une mise en garde sur le danger des richesses, Jésus répond à Pierre, qui lui demande quelle serait leur part, à eux les disciples qui avaient tout quitté pour le suivre ? Et Jésus promet : vous siégerez avec moi, et quiconque aura tout laissé à cause de moi, maisons, frères, sœurs, père, mère, enfants ou champs, recevra bien davantage et aura en héritage la vie éternelle. Et de conclure par cette parole : Beaucoup de premiers seront derniers, et de derniers seront premiers. On pouvait alors se demander ce que venait faire cette conclusion.  Vient alors la parabole d’aujourd’hui qui reprend la même conclusion : voilà comment les derniers seront premiers et les premiers derniers.
Relisons la parabole qui dit le royaume. Qu’y découvre-t-on ? Un Dieu présenté comme un maître de maison qui embauche, qui aime voir l’homme participant de son œuvre, co-créateur. Heureux toi qui a reçu l’invitation dès la première heure. Dieu s’engage à te donner un denier : c'est-à-dire le nécessaire pour vivre ta journée. Les suivants, reçoivent une promesse : vous recevrez ce qui est juste : bref, faites confiance à Dieu, et aller joyeusement collaborer à la vigne. Les derniers sont restés à ne rien faire. Pourquoi ? Non point par paresse, mais parce que personne ne les a embauchés. Ils sont envoyés à la vigne, simplement, sans même promesse de recevoir quelque chose. Sans doute que le seul fait d’être reconnus, considérés, embauchés, valait plus à leurs yeux que toutes les promesses !
Puis vient la fin de la journée... et le temps de la provocation maximum : pourquoi faire passer les derniers en premiers ? Le maître de maison n’aurait-il pas pu faire venir les premiers d’abord, ils seraient partis avec leur denier, sans s’apercevoir de la générosité du maître pour les autres... Mais non, au Royaume on ne vit pas comme cela. Alors, les peu considérés que nul n’avait embauchés, passent en premier, et reçoivent un denier : c'est-à-dire, ce qu’il faut pour vivre aujourd’hui. Ils se sont donnés, le temps où ils ont été embauchés, ils en reçoivent la vie. Les suivants arrivent, ils ont vu, et se prennent à espérer recevoir plus, puisqu’ils ont travaillé plus. Et déconvenue totale : ils reçoivent un denier : ils reçoivent de quoi vivre aujourd’hui. Et bonjour le murmure, la jalousie...  Où est la racine de ce murmure : dans la manière d’accueillir le travail sans doute. Notez que la traduction que nous avons eue de ce texte, nous met sur la pente glissante, disant qu’au début de la journée, le maître du domaine convient du salaire : un denier pour la journée. Le mot « salaire » ne figure pas dans l’original. Il est parlé d’un accord, une symphonie (c’est la racine grecque de ce terme). Ils se sont mis d’accord, chacun donnant ce qu’il a : l’homme offre son travail, collaboration au domaine, au Royaume, Dieu offre le denier nécessaire à la vie quotidienne, sous entendu il donne la vie. Dans le cœur de Dieu, nous sommes dans la logique du don, il donne largement, abondamment, sans compter, parce qu’il est bon et qu’il nous aime. Dans nos pensées humaines, nous comprenons : Dieu embauche, si nous travaillons pour lui, nous avons droit à un salaire, c’est tellement bien dans nos têtes, que même les traductions y succombent.
Et nous nous présentons devant Dieu avec la feuille de paie ! C’était bien la question de Pierre à Jésus : nous avons tout quitté pour te suivre, alors quelle sera notre part ? notre salaire ?
Et Jésus en une parabole provocante, lui glisse, si tu veux un salaire, je te donne ce qu’il faut pour vivre, je te donne la vie... mais celui qui viendra après toi, conscient de ne rien pouvoir réclamer, je l’aimerai tout autant, et je lui donnerai la vie gratuitement.
C’est bien ce qui s’est passé sur la croix, avec l’ouvrier non de la dernière heure, mais de la dernière seconde, qu’est mon ami, le bon larron, crucifié avec Jésus, qui reçoit la promesse d’entrer au Royaume, le jour même. Le voilà canonisé avant sa mort par Jésus lui-même !
C’est bien l’expérience de st Paul que nous rapporte la lettre aux Philippiens. Paul est le dernier arrivé des apôtres, l’apôtre de la dernière heure. Il est en prison, en attente du prononcé de jugement qui lui fera retrouver la liberté pour annoncer l’évangile ou qui le conduira au martyre. Et pour lui l’important est d’être avec Jésus. Si cela arrange le Père que Paul œuvre encore sur terre, il est prêt, s’il est appelé de suite par le martyre, il est prêt de même. C’est un homme libre, qui n’a qu’un souhait : que sa vie, que sa mort témoigne de l’évangile. Il ne compte pas gagner son paradis, il sait qu’il le recevra ! Il est libre et heureux d’être embauché pour le royaume et cela lui suffit ! Il n’attend aucun salaire en retour de son dévouement, il aime, il est aimé : il y a Dieu et cela lui suffit !
 
Sr Thérèse-Marie
 

mercredi 14 septembre 2011

La Croix, arbre de vie

Fête de la Croix Glorieuse
(Livre des Nombres 21,4b-9; saint Jean 3,13-17 )
Il y a 40 jours, nous fêtions la transfiguration du Seigneur qui se révélait enveloppé déjà de la lumière de la résurrection. C'est cette même lumière pascale que la foi de l'Eglise fait rejaillir aujourd'hui, sur la Croix elle-même.
Célébrer la Croix glorieuse, c'est affirmer que mort et résurrection en la personne du Christ, c'est tout un, qu'elles sont inséparables.
Ce que nous célébrons dans le Triduum pascal en l'étalant quelque peu dans le temps... et c'est bien nécessaire pour intégrer, pour accueillir le sens profond de ces événements... ce que nous célébrons en 3 jours lors de la Semaine Sainte, la fête de la Croix glorieuse nous permet d'en faire une seule gerbe, nous rappelle que la glorification du Christ et le salut du monde sont opérés sur la Croix, sont opérés dans le don total que le Christ fait de sa vie.
« Ma vie, nul ne la prend mais c'est moi qui la donne. »
« Si l'on veut te prendre ta tunique, avait dit Jésus, donne aussi ton manteau » le seul moyen de ne pas se laisser dépouiller, c'est d'aller au devant de celui qui veut prendre et de donner au delà de toute attente.
Et voilà que le crucifié donne le salut; l'arbre de mort, devient l'arbre de la vie.
Dans un renversement inouï de situation, Jésus a fait de sa mort une arme pour tuer la haine dans le coeur de ses bourreaux; il en a fait une arme pour détrôner la mort dans son propre royaume, l'enfer, et remettre debout Adam et tous ceux qui à sa suite étaient sous l'emprise de la mort. Car le lieu de la mort, c'est l'enfer, le shéol, et nous l'imaginons sous terre, là où la vie ne peut pas pénétrer... Sur la Croix, le Christ élève, si l'on peut dire, la mort et la place dans une perspective nouvelle, celle du ciel, de la demeure de Dieu, lieu de la vie en plénitude.
La première lecture nous le laisse pressentir à travers le serpent de bronze que Moïse fait placer sur un mât pour qu'en le regardant les Hébreux soient guéris de la blessure mortelle infligée par les serpents. Le serpent qui porte la mort, devient par son élévation signe de vie et de salut... non par un rite magique, non parce que Moïse aurait éliminé les serpents et avec eux la mort mais parce qu'en l'élevant, il l'a arraché à sa signification habituelle de porteur de mort. Le serpent ainsi élevé attire le regard des Hébreux vers le ciel, vers Dieu de qui vient le salut et les invite à renouveler leur confiance au lieu de s'enfoncer dans la révolte.
Depuis que le Christ a lui aussi été dressé sur un mat, dans le don suprême de sa vie, il n'y a plus rien de morbide à regarder la Croix car ce n'est pas par son aspect sacrificiel et sanglant qu'elle est source de salut mais parce qu'elle est l'expression ultime de l'amour de Dieu et qu'elle devient ainsi source de vie.
La croix, nous pouvons la contempler, la célébrer, l'exalter car elle est devenue pour tout croyant l'arbre de la Vie. Dans la Genèse, après le péché d'Adam, Dieu avait dit; 'Que l'homme n'étende pas la main et ne cueille aussi de l'Arbre de vie, n'en mange et ne vive pour toujours »
Ce que Dieu refuse à la convoitise de l'homme, il l'offre gratuitement. La vie éternelle, fruit de l'amour du Père et de l'offrande du fils nous est DONNEE.
« Ma vie, nul ne la prend mais c'est moi qui la donne. » 
Sr Elisabeth

dimanche 11 septembre 2011

Pardonner, voilà qui est divin !

 24e dimanche du Temps Ordinaire Année A (2011)
 
Si 27, 30-28, 7 ; Ps 102 ; Rm 14, 7-9 ; Mt 18, 21-35
En ce dimanche, l’Evangile se situe dans la même ligne que les deux dimanches précédents : Jésus nous enseigne la vie en Eglise.
Et, plus précisément, il nous parle aujourd’hui du pardon : cette question peut nous concerner tous et chacun.
Voyons ce qu’en disent les textes d’Ecriture de ce jour… à leur lumière, nous pourrons en dégager un message pour notre vie.
 
Dès le Premier Testament, l’extrait du Siracide place la question du pardon sous l’angle de l’Alliance.
Selon le sage de ce livre, c’est notre relation à Dieu qui est l’adjuvant de l’oubli des fautes.
L’enseignement qu’il nous livre ici témoigne de son expérience de vie :
Nul être humain n’est exempt de péché ; chacun demande au Seigneur le pardon de ses fautes.
Dès lors, personne ne peut logiquement retenir les torts des autres, s’il veut être pardonné pour les siens.
L’auteur invite ainsi à une mise en perspective : se décentrer de la faute que l’on a commise à notre égard pour se souvenir de la perspective de la mort et du respect des commandements de Dieu.
Tel est un des enseignements de la Sagesse du Premier Testament.
 
Dans l’Evangile, Matthieu rapporte une question que Pierre adresse à Jésus :
« Seigneur, quand mon frère commettra des fautes contre moi, combien de fois dois-je lui pardonner ? Jusqu’à sept fois ? »
Remarquons d’emblée que Pierre s’interroge sur le pardon à accorder à un frère, c’est-à-dire au sein de la communauté ecclésiale.
La perspective est ici plus restreinte que dans la lecture du Siracide, où l’on parlait des fautes commises par « un homme ton semblable ».
 
La référence de Pierre au pardon accordé « sept fois » opère déjà un dépassement par rapport à la coutume juive où l’on parlait de pardonner « deux ou trois fois ».
Ce chiffre « sept » est un chiffre parfait ; plutôt que du fait de pardonner successivement sept fois, il pourrait s’agir du pardon accordé parfaitement.
 
Mais Jésus va plus loin et enjoint à Pierre de pardonner « jusqu’à septante fois sept fois ».
On ne peut pas imaginer un pardon plus largement accordé…
 
Pour l’illustrer, Jésus propose la comparaison du Royaume des cieux, où un roi voulut régler ses comptes avec ses serviteurs.
Dans cette histoire, deux débiteurs sont situés face à leurs créanciers.
Le premier débiteur est un roi, face à son serviteur ; le second met en scène deux compagnons.
Les sommes dues sont très différentes : l’un doit l’équivalent de 40 millions d’euros ; l’autre, à peine 66.
Sachant que, dans le contexte de l’époque, la somme de 10.000 est le nombre le plus élevé que l’on puisse concevoir, le message est clair :
Le premier débiteur n’aura jamais la moindre chance de s’acquitter de sa dette, même par la prison.
 
Lorsque ces deux débiteurs sont confrontés à leurs créanciers respectifs, les situations sont à peu près équivalentes.
Ils prononcent d’abord une parole « Prends patience envers moi et je te rembourserai », et y ajoutent un geste de supplication, celui de la prostration.
 
Par contre, la réaction des deux créanciers est opposée.
Le premier est « saisi de pitié » : littéralement « pris aux entrailles ».
Ce verbe caractérisait Jésus devant la foule.
La racine de ce verbe exprime la compassion ressentie au creux des entrailles.
 
Saisi de pitié donc, le premier créancier remet la dette.
Par contre, le second, qui, rappelons-le, est « compagnon » de son débiteur, refuse de s’émouvoir et jète celui-ci en prison jusqu’à ce qu’il ait tout remboursé.
 
Et en ce qui nous concerne : Quel est le message de Jésus en cet enseignement ? Quel chemin de pardon nous indique-t-il ?
Le roi dont il est question est Dieu lui-même, face auquel nous sommes des débiteurs qui ne pourront jamais rembourser notre dette.
Par contre, le compagnon de la seconde histoire nous représente tous et chacun…
Par cette comparaison, Jésus veut nous interpeller.
Lorsqu’on nous a causé du tort, adopterons-nous l’attitude du roi qui remet toutes les dettes, ou celle du compagnon impitoyable ?
 
Mais au fond, comment accorder le pardon, lorsque des personnes nous ont causé des souffrances parfois si douloureuses ?
Plusieurs étapes pourraient nous y aider.
D’abord reconnaître combien le prochain a eu tort de nous blesser. Nier la blessure ne conduira pas au pardon.
Ensuite, peu à peu renoncer au ressentiment auquel nous aurions droit et sacrifier à Dieu ce ressentiment, pour laisser croître en nous le désir de pardonner.
Enfin, détourner l’attention que j’accorde à la faute commise pour tourner petit à petit mon attention vers un autre pardon, celui dont je suis bénéficiaire.
Oui, Dieu m’aime d’un amour inconditionnel et il le concrétise bien souvent par son pardon…
 
Cet acte de pardonner est proprement divin !
Nous pouvons demander au Seigneur de nous en montrer le chemin…
 
Rendons-lui grâce de nous partager ses prérogatives… et chantons avec le psalmiste :
« Il pardonne toutes tes offenses et te guérit de toute maladie…
Bénis le Seigneur, ô mon âme,
N’oublie aucun de ses bienfaits ! »
 
Amen
 
 
Sr Marie-Jean (11 sept 11)

jeudi 8 septembre 2011

Cachée avec le Christ

8 septembre : Nativité de Marie
 
Cette fête de la nativité de Marie est très ancienne. D’abord en Orient, puis en Occident, où elle est attestée à partir du 8ème siècle. Sa date correspond à celle de la Dédicace d’une basilique bâtie à l’endroit où la tradition plaçait la maison de sainte Anne
Fêter un anniversaire, c’est important, c’est une façon de se rappeler que tout a commencé un jour précis de l’histoire, une façon de se situer dans une lignée, par rapport à ceux qui précèdent et par rapport à ceux qui suivent, une façon de rendre grâce pour le don de la vie. Il est tout normal que l’Église ait eu envie de célébrer la naissance de Marie. Un cantique byzantin donne à Marie, pour cette fête, le titre de « terre du ciel ».
 
Mais qui est-elle ? Quand est-elle née ? Quel âge avait-elle quand l’ange la visita ? Les évangiles nous donnent des généalogies de Jésus. C’est une façon claire de le situer dans l’histoire des hommes. Il y a une longue continuité qui remonte jusqu’à l’ancêtre Abraham, jusqu’au père de tous les hommes, Adam. Mais cette généalogie est celle de Joseph, pas de Marie. En parlant de Marie, soudain, Matthieu et Luc introduisent une rupture dans la continuité, une fraîcheur, une nouveauté. Voyez comment Luc introduit Marie dans son récit : « une jeune fille, une vierge, accordée en mariage à un homme nommé Joseph, de la famille de David, et cette jeune fille s’appelait Marie ». De Joseph, nous savons donc qu’il est de la maison de David, de lignée royale. Mais de Marie, nous ne savons rien, sinon qu’elle était fiancée à Joseph. Matthieu n’en dit pas plus que Luc.
 
Les chrétiens des premiers siècles ont aimé imaginer davantage les origines de Marie. Ils ont produit la tradition qui aboutit à plusieurs évangiles apocryphes, dont le protévangile de Jacques, écrit vers le milieu du 2ème siècle et évoquant les parents de Marie, Joachim et Anne. Joachim était lui aussi de la maison de Juda, il était un riche berger, le couple était stérile.
Mais l’Écriture reste discrète. Comme s’il était de la nature de Marie de s’effacer devant le grand mystère qui se déroule en elle. On pourrait très bien appliquer à Marie ce verset de la lettre aux Colossiens que nous avons entendu hier : « votre vie reste cachée avec le Christ en Dieu. Quand paraîtra le Christ, votre vie, alors vous aussi, vous paraîtrez avec lui en pleine gloire «  (Col 3, 3-4).
Elle est le fruit d’une longue attente messianique qui a façonné patiemment l’espérance d’Israël. Cette attente messianique est évoquée par le prophète Michée, parlant aussi de la mère du Messie comme « celle qui doit enfanter », avec une discrétion qui correspond tout à fait à la personnalité de Marie. D’après cette prophétie, le Messie à venir sera issu de Bethléem Ephrata, donc de la maison de David. Il deviendra le « berger » de ses frères et leur permettra de vivre en sécurité. Michée lui donne un attribut tout particulier : « lui-même, il sera la paix ».
La mère du Messie est donc mère de la paix. Sa discrétion, son humilité vont dans le même sens. Et l’oraison de ce jour nous le propose aussi en disant : « puisque la maternité de la Vierge Marie fut pour nous le commencement du salut, que la fête de sa nativité nous apporte un surcroît de paix ». Accueillons cette paix et rendons grâce à Dieu pour la douceur de Marie, si humaine en sa divine maternité.
 
Sr Marie-Raphaël (8 sept 2011)

dimanche 4 septembre 2011

Lier, délier

23ème dimanche A
 
Il y a deux semaines, nous avons entendu la fameuse confession de Pierre à Césarée : il avait dit à Jésus : « Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant ! » et Jésus lui avait répondu : « Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église », et il avait ajouté : « je te donnerai les clés du Royaume des cieux : tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux ». C’est pourquoi, saint Pierre est très souvent représenté dans l’art avec un grand trousseau de clés.
 
Voici donc la « clé » qui va nous permettre d’ouvrir l’évangile d’aujourd’hui. Et vous verrez : cette clé est en fait un « passe-partout » que nous possédons tous. Il suffit peut-être d’oser l’utiliser pour que les portes s’ouvrent…
Donc, les mots-clé qui relient l’évangile d’aujourd’hui à ceux des dimanches précédents et suivants, c’est « lier » et « délier ». Aujourd’hui, Jésus ne le dit plus à Pierre seul, mais à tous ses disciples : « Amen, je vous le dis… » (la déclaration est donc solennelle) « tout ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans le ciel. » Cela ressemble un peu à la parole solennelle prononcée par Jésus ressuscité, tout à la fin de l’évangile de Jean, quand le Christ apparaît à ses disciples et leur dit : « Recevez l’Esprit saint. Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus. » C’est dire la responsabilité qu’il nous confie ! En disant cela, il nous confie le pouvoir de pardonner… il nous délègue un pouvoir proprement divin !
 
« Lier » et « délier », effectivement, cela fait souvent penser au pardon accordé ou refusé. Mais ces mots peuvent aussi être compris d’une façon plus large. Le verbe « lier » est souvent négatif. Il évoque une entrave, une privation de liberté. Jésus est ligoté avant d’être conduit au tribunal, comme Isaac a été lié sur le bois au moment où son père Abraham croyait devoir l’offrir en holocauste. On parle aussi des « liens de la mort » et quand Jésus ressuscite Lazare en l’appelant à sortir du tombeau, il dit « déliez-le et laissez-le aller ».
 
Mais le mot « lier » peut aussi évoquer quelque chose de très positif… par exemple : l’alliance. Aujourd’hui, on entend beaucoup l’expression « il faut être relié ». Telle personne est bien dans sa peau : elle est « reliée ». Reliée à quoi ? à qui ? à des énergies supérieures qui l’inspirent ? à des personnes ? En tout cas, il semble qu’une personne « reliée » est le contraire d’une personne individualiste. Même les îles sont reliées par la terre ferme cachée sous les profondeurs de l’océan.
 
Quand nous y réfléchissons pour nous-mêmes, nous sommes tous « reliés » par toutes sortes de liens. Liens de sang, de la famille, du couple. Liens de l’amitié, de la culture, de la langue… Nous avons tous des réseaux de liens très divers, les uns plus serrés que les autres. Nous pouvons être reliés très fort à une personne que nous ne voyons jamais, et beaucoup moins fort à notre voisin de tous les jours… La plupart de ces liens, nous ne les avons pas choisis. Que nous le voulions ou non, nous sommes liés, aujourd’hui, au destin de la Belgique, de l’Europe, du monde tel qu’il est. Nous sommes liés à tous les hommes et toutes les femmes de notre temps et de tous les temps par le lien de la condition humaine…
 
Si nous n’avons pas choisi ces liens, nous aurons tendance à les subir. Mais si, au lieu de les subir, nous décidons de les choisir, d’en prendre soin, alors tout peut changer… alors, la « reliance » prend le nom de « solidarité » et nous entrons peut-être dans cette parole de Jésus : « tout ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le ciel ».
Lui, Jésus, il n’a pas subi, il a choisi consciemment de se lier à notre condition humaine : par le mystère de son incarnation. Il s’est fait totalement « solidaire ». Et que signifie cette solidarité, concrètement, pour nous ? C’est ce qu’il tente de nous dire dans la parole d’aujourd’hui : si vous êtes solidaires, cela signifie que vous êtes responsables les uns des autres. Si vous prenez conscience des liens qui vous relient, vous comprendrez que vous n’êtes pas des îles : et cela, pour le meilleur et pour le pire ! Concrètement, nous le savons s’il y a la famine, la guerre, la souffrance dans bien des pays du monde, notre indifférence à l’égard de ces frères et sœurs en humanité finira par nous rattraper. Mais plus près de chez nous, dans nos propres familles et communautés de vie, nous savons que « quand un membre souffre, tous les membres souffrent ; quand un membre est à l’honneur, tous se réjouissent ».
 
Les lectures parlent de cette coresponsabilité. Saint Paul évoque le commandement de l’amour comme celui qui résume tous les autres, celui envers lequel nous ne serons jamais quittes. Ezéchiel évoque le devoir de prophétie et d’avertissement que nous avons tous à exercer les uns envers les autres : « si tu n’avertis pas le méchant, si tu ne lui dis pas d’abandonner sa conduite mauvaise, il mourra, mais toi, tu auras à répondre de son sang ». C’est redoutable ! Le discernement par rapport au bien et au mal s’exerce en communauté. L’évangile nous offre donc un passage de ce qu’on appelle, dans saint Matthieu, le « discours sur l’Église ». C’est peut-être aussi pour nous l’occasion de réfléchir à nos liens par rapport à l’Église. Nous sentons-nous reliés les uns aux autres par le fait que nous professons la même foi ? Et comment exprimons-nous ce lien ? Par le pouvoir de pardonner ?
 
Il sera encore question de pardon dimanche prochain (permettez-moi de faire déjà ce « lien »), mais retenons en tout cas pour aujourd’hui cette parole encourageante du Seigneur : il suffit déjà de deux ou trois pour que le lien fonctionne : « quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux ». Alors, prenons cette clé, cliquons sur ce lien, et la porte du Royaume des cieux s’ouvrira.
Sr Marie-Raphaël 

samedi 3 septembre 2011

Saint Grégoire le Grand

méditation pour le 3 septembre 2011
 
2 Co 4, 1-2, 5-7 ; Ps 95, 1-2.2-3.7-8.10 ; Lc 22, 24-30
 
« Chantez au Seigneur un chant nouveau !
Chantez au Seigneur, terre entière,… et bénissez son nom ! »
 
Celui que nous fêtons en ce jour, Grégoire le Grand, est cher aux bénédictins pour la vie de Saint Benoît qu’il raconte dans le deuxième livre des Dialogues.
L’écrit de Grégoire en est d’ailleurs la plus ancienne source.
Pour honorer la mémoire de ce Saint, le lectionnaire bénédictin propose un Evangile où il est question de querelles entre les disciples.
En effet, dit l’évangéliste Luc, « ils en arrivèrent à se quereller sur celui d’entre eux qui leur semblait le plus grand »
Pour bien comprendre la portée de cet Evangile, il est éclairant d’en expliciter le contexte.
En fait, cette altercation entre les disciples suit directement l’annonce de la trahison de Judas.
Au cours du dernier repas, Jésus déclarait à ses disciples : « la main de celui qui me livre se sert à cette table avec moi » et, plus loin, « ils se mirent à se demander les uns aux autres lequel d’entre eux allait faire cela »
C’est dans ce contexte que notre Evangile acquiert un sens.
Dans une atmosphère tout empreinte de trahison, d’épreuves et de souffrances de leur Maître, les disciples se disputent la grandeur.
Et, plus précisément, c’est d’une grandeur tout humaine qu’il s’agit.
En guise de réponse, Jésus leur découvre un autre chemin, leur propose une autre grandeur :
« … le plus grand d’entre vous doit prendre la place du plus jeune, et celui qui commande, la place de celui qui sert »
Et il poursuit :
« … moi, je suis au milieu de vous comme celui qui sert… »
Jésus balise un chemin de service, il trace la voie du serviteur.
La vie de nombreux Saints pourrait illustrer pareil chemin.
 
En ce 3 septembre, c’est la vie de Grégoire qui est proposée à notre méditation, à notre prière.
Et ce Saint a largement arpenté ce chemin du service :
Service en la Communauté monastique dans ses jeunes années ;
Service des petits et des pauvres lors de la charge pontificale ;
Service de la Parole, quand il guide ses fidèles par ses commentaires de l’Ecriture ;
Service pastoral, dans le sillage du Christ, authentique pasteur.
 
A la suite de nombreux Saints, Grégoire emboîta le pas de son Maître et Seigneur.
Chemin du serviteur, du petit, de l’humble…
Chemin sur lequel on s’engage, non pour s’écraser ou s’annihiler, mais parce qu’une forte conscience de l’amour de Dieu nous y conduit.
Chemin où le Christ, bien-aimé du Père, nous précède et nous accompagne : la vraie grandeur y est humilité et commander signifie servir.
Opter pour un tel chemin vaut son pesant d’or !
 
Jésus nous dit :
« Vous mangerez et boirez à ma table dans mon Royaume… »
Dans sa parole « Vous avez tenu bon avec moi dans mes épreuves… », les prémices nous sont déjà données :
 
Son assistance, sa présence, son secours nous sont offerts !
Et ils ne nous seront jamais ôtés...
 
En ce jour de fête, chantons avec le psalmiste :
« Allez dire aux nations : ‘Le Seigneur est roi !’
Le monde inébranlable tient bon… »
 
Amen 
Sr Marie-Jean