dimanche 8 juillet 2012

Nul n'est prophète en son pays

Méditation  pour 14ème dimanche du TO, B
 
Nul n’est prophète en son pays.
Mais qu’est-ce qu’un prophète ? La première lecture nous en montre un. C’est le début du livre d’Ezéchiel : il y évoque sa vocation de prophète à partir de plusieurs visions. D’abord, la vision grandiose du char de Dieu porté par quatre animaux fantastiques. Ensuite, il y aura la vision du livre (rouleau écrit au recto et au verso) que le prophète devra manger. Cette image illustre puissamment combien le prophète assimile en lui-même (s’identifie à) le message que Dieu lui confie. Il finit par être lui-même message. Il fait l’expérience d’une parole qui s’impose à lui, une parole qui l’investit, une parole qui le dépasse et dont il devient le canal. Il ne peut s’y dérober, même si la tâche est difficile. Car les paroles qu’il a à dire sont difficiles à entendre. Dans le contexte de la déportation à Babylone, il doit interpeller vigoureusement le peuple pour l’appeler à la conversion. Et Dieu l’a prévenu : c’est un peuple de rebelles, un peuple au visage dur et au cœur obstiné. Dieu demande à son prophète de parler coûte que coûte, quelle que soit la réponse, l’écoute ou la non-écoute du peuple. Le prophète n’a pas à se préoccuper de la suite : il doit parler, même s’il a l’impression de hurler dans le vent, de prêcher dans le vide. Cela, c’est Ezéchiel. Devant la difficulté de sa mission, il fait bien souvent l’expérience de sa faiblesse. Il n’est qu’un « fils d’homme ». Mais il ne se décourage pas. Il fait l’expérience que « l’Esprit du Seigneur vient en lui » : il obéit à cette parole qui s’impose à lui et qui le dépasse. Et quand il mange le rouleau, il ressent dans sa bouche un goût de miel.
Paul aussi est prophète. Paul aussi mesure parfaitement la démesure de ce qui lui est demandé. Il connaît les dangers de l’orgueil (être une « prophète de Dieu », il y a de quoi être fier...) Il fait l’expérience de sa faiblesse comme d’une grâce : cette écharde dans sa chair, « un envoyé de Satan qui est là pour me gifler, pour m’empêcher de me surestimer... » Non, ce n’est pas facile d’être prophète, d’avoir à dire une parole exigeante de la part de Dieu, de s’exposer à l’incompréhension, à la résistance, à la moquerie. Mais la faiblesse même de l’apôtre plaide en faveur de la crédibilité de sa parole : cela montre d’autant mieux que la puissance de la parole ne dépend pas de celui qui la dit, mais du Christ qui habite en lui.
Nous ne sommes sans doute pas appelés à être prophètes à la manière d’Ezéchiel ou de Paul. Mais nous faisons parfois l’expérience d’une parole puissante, qui sort de nous  sans venir de nous, qui nous dépasse. Oui, nous aussi, nous sommes parfois prophètes les uns pour les autres. « Tu m’as dit telle chose et cela a changé ma vie. » « Je t’ai dit ça, moi ? ».
Nous pouvons être attentifs à cela : nos paroles ont souvent un impact que nous ne soupçonnons pas. C’est peut-être une grâce. Mais pas un motif pour s’enorgueillir : l’orgueil se glisse partout, même dans les meilleures intentions. Ne pas vouloir « faire les prophètes » les uns pour les autres, mais être attentifs, dans la parole des autres, à ce que Dieu cherche à nous dire à travers eux...
Venons-en, maintenant, à l’évangile. Jésus vient dans son propre pays et s’y comporte comme ailleurs, mais l’accueil qu’il reçoit n’est pas le même. Il y a un double étonnement qui encadre ce récit. D’abord, il y a l’étonnement des auditeurs : « frappés d’étonnement, ils disaient : ‘d’où cela lui vient-il ?’ ». à la fin, il y aura l’étonnement de Jésus : « il s’étonna de leur manque de foi ». L’étonnement des gens de Nazareth provient de ce qu’ils croient connaître Jésus (n’est-il pas le charpentier, le fils de Marie ?) et du fait que le comportement de Jésus ne correspond plus à cette connaissance-là. Ils ont collé sur Jésus une étiquette et ils refusent d’envisager la nouveauté. Oui, Jésus est le charpentier de Nazareth, le fils de Marie, le frère de Jacques etc., mais il est peut-être bien plus que cela. L’étonnement qui peut révéler une ouverture d’esprit, peut au contraire fonctionner comme un étouffoir : refus de la nouveauté, peur de changer de regard, incapacité de reconnaître en l’autre quelque chose que je ne m’attends pas à voir en lui, quelque chose qui peut me surprendre. Du coup, rien, ne se passe. Ou pire encore : du coup, l’hostilité apparaît, parce que l’inattendu de l’autre me « choque », me provoque. Les gens de Nazareth, est-il écrit, étaient profondément choqués à cause de lui. Littéralement : scandalisés. Et dans l’évangile de Luc, le même épisode est poussé plus loin dans ses conséquences : les gens de Nazareth cherchent à tuer Jésus.
Est-ce que nous croyons que Dieu est capable de nous étonner ? Sommes-nous prêts à nous laisser étonner par Dieu ? Si nous pensons déjà tout connaître de lui, si nous sommes trop blessés ou trop critiques ou trop peureux... Dieu aura beau chercher à nous surprendre, il ne se passera rien. Et croyez-moi, cela étonne Dieu que nous soyons comme cela : si peu accueillants, parfois, à la nouveauté de la Bonne Nouvelle.
Mais non, soyons attentifs aux surprises de Dieu ! L’étonnement ne doit pas fonctionner comme étouffoir, mais bien plutôt comme charnière qui ouvre portes et fenêtres. L’étonnement positif.
Platon disait déjà que toute philosophie commence par l’étonnement.
Cet étonnement-là est porche de l’émerveillement, de l’action de grâce. Si nous voulons bien que Dieu nous surprenne aujourd’hui, nous découvrirons sa présence merveilleuse, inattendue, dans les petites choses toutes simples de nos vies. Oui, soyons comme des enfants qui aiment les surprises. Et nous entendrons la voix des prophètes. Et nous étonnerons le monde qui nous entoure. 

Sr Marie-Raphaël

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